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lundi 21 août 2017

Du rhinocéros qui n'en avait que faire

Dédain artistique ou naturalisme de la nonchalance ? Ici, un rhinocéros désertant la "scène du Puits" de Lascaux et
celui de Jacquemart avant 1935, faisant dos à la tour Effeil et languissant, le regard vers le parvis du musée d'Orsay.

Le rhinocéros de prairie (Stephanorhinus hemitoechus) est un figurant discret de la grotte de Lascaux, égérie d'une seule et unique représentation dans l'ensemble de l'art rupestre, celle de la mise-en-scène narrative dite "du Puits" où se confronte un bison colérique, déversant à l'air ses boyaux éventrés par une sagaie, tête basse dans un mouvement de charge, et un homme face à lui déjà terrassé, chutant en arrière dans une dynamique laissant présager de son sort. Peint au fond d'un puits de plus de 5 m de profondeur, endroit le plus secret de la grotte dans lequel on ne peut descendre naturellement, le drame dépeint dans ce tableau aurait presque retenu toute l'attention par sa tonalité dramatique si l'on pouvait faire abstraction de l'intrus comique situé en marge, dont la délinéation plus grasse montre qu'il a été esquissé par un artiste différent ou sur un autre moment... Le "témoin du crime", positionné de l'autre côté de ce qui pourrait être un propulseur (l'hypothétique arme de tir de notre victime, surmonté d'un motif d'oiseau) arbore des allures de phacochère ; on l'aperçoit en retrait s'éloigner du lieu de l'attaque, occupé à déféquer en toute indifférence. C'est un "deux-cornes" dirait le fils de Craô : les ornements pointant sur son museau étroit sont notablement plus développés que ceux du membre le plus proche qu'on lui connaisse encore, le vivant rhinocéros de l'île de Sumatra (tous deux anciennement rattachés au même nom générique Dicerorhinus). Comme chez ce dernier, le rhinocéros de la figure pariétale de Lascaux affiche une fourrure inégale, davantage apparente sur le ventre et le long de l'échine (des touffes de jarre locales rendant manifestement le dos sombre).


La toison brune rougeâtre des jeunes rhinocéros
de Sumatra noircit et régresse avec l'âge, tandis
que la crinière dorsale du "Rhinocéros du Puits"
était celle d'un adulte, à en juger par ses cornes.
Les restes fossiles corroborent l'aspect général du dessin du Puits et indiquent qu'on avait à faire à une bête de taille moyenne à grande mesurant de 3 à 3,50 mètres de long en moyenne pour un poids maximal d'une tonne et demie, soit la corpulence d’un rhinocéros noir d’Afrique actuel, avec selon les aires géographiques des représentants parfois plutôt petits, comme dans la péninsule ibérique. Il vivait entre 600 000 et 10 000 ans avant notre ère dans un environnement privilégiant les prairies parsemés de bosquets d’arbres où l'eau était abondante. Sa tête inclinée vers le sol dénote une tendance accentuée à consommer la végétation basse mais son régime alimentaire était plus diversifié que celui de ses deux contemporains, l'immense rhinocéros de Merck dont il partageait le milieu de vie entre steppes et prairies-parcs, essentiellement folivore, et le rhinocéros laineux, habitant non exclusif des steppes et toundras, surtout herbivore. Adapté à des climats plutôt variables, il montrait une résistance relative au froid. L'espèce a été retrouvée en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, France, Espagne ainsi qu'en quelques points du reste du bassin méditerranéen, en Grèce, en Syrie et au Maroc notamment. Elle s'est étendue vers l'ouest et le nord de l'Europe au cours des temps et fut contraint à migrer de plus en plus au sud durant les périodes de refroidissement il y a 30 000 ans, pour s'y éteindre finalement à l'avancée d'un climat rude, au plus fort de l'époque glaciaire.

  • Synonymes : Stéphanorhine à museau étroit, Rhinocéros de prairie, Rhinocéros des steppes, Stephanorhinus hemitoechus [le "nez stéphanois demi-cloisonné"], anc. Dicerorhinus hemitoechus [le "deux cornes au nez demi-cloisonné"].

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