Le monde occidental n’a pas eu le temps de s’imprégner de l’image du dauphin de Chine, au corps dodu, au visage de bécasseau flanqué d'yeux ronds, rapetissés, et souligné par un sourire permanent. Celui-ci était encore complétement inconnu au début du XXe siècle et ce n'est qu'en 1916, à l'occasion d'un séjour au bord du lac Dongting, près de Chenglingji, qu’un américain en pêcha un spécimen. Amateur de sciences naturelles, il prit soin à son retour d’en confier les ossements à la Smithsonian Institution, ce qui bien vite permit la description de cette nouvelle espèce.
En Chine, le « Baiji » ou « Peh Ch'i » (le « drapeau blanc », évoquant son aileron clair, bien observable) était connu depuis des millénaires. Etrangement absent des œuvres visuelles, qu'elles soient picturales ou céramiques - hormis de rares illustrations plutôt grossières -, il a surtout été l'objet de la tradition scripturale. On en retrouve mention ancienne dans les poèmes, contes et légendes, tout comme dans certains traités. L’Erya, dictionnaire rédigé autour du début de l'ère chrétienne, le présente en ces termes : « Le Ch'i est une sorte de requin. Son corps est semblable à celui d'un esturgeon. Sa queue est comme celle du poisson doré. Il a un gros ventre. Son museau est menu et pointu. Le nez se tient sur le front. Le Ch'i peut émettre des bruits. Il est vivipare. Il est friand de petits poissons. Il a légèrement plus d'un zhang [2,3 m] de long. Il est commun dans les rivières. »
Le folklore prête à l’existence de ce cétacé une origine surnaturelle, à travers la fable légendaire de la déesse Baiji, jadis princesse au cœur pur poussée à la noyade pour s’être refusée à un mariage de raison, et sa métamorphose « ovidienne » en créature des eaux, fruit du geste salvateur de l'esprit du fleuve Bleu dont s’éprend la jeune femme. Si l’histoire, qui donne raison aux sentiments réciproques, connaît une fin heureuse, il en va autrement du trésor national que ce mythe consacre. La « déesse du Yangzi » comme l’appelle affectueusement les chinois est aujourd’hui portée disparue, et ceux rares qui la cherche encore paraissent mener une chasse aux fantômes. En décembre 2006, après six semaines de recherche et malgré le matériel de pointe embarqué et les 3400 kilomètres passés au crible fin, les scientifiques, bredouilles, conclurent à l'extinction probable du dauphin d’eau douce qui vivait à l’Est de la Chine, dans le fameux « fleuve Bleu » ou Yangzi Jiang, le plus long fleuve d'Asie. Un destin jugé largement prévisible, mais à ce même titre sans doute pas inévitable…
L’écosystème du Yangzi a été la victime collatérale du « Grand bond en avant » promu par Mao Zedong afin d’accélérer l’industrialisation et la production agricole à la fin des années 50. Si l’on sait aujourd’hui qu’il déboucha par ses défaillances majeures sur la grande famine qui sévit alors en Chine et fit 35 millions de morts, on ignore de cet épisode obscur qu’il initia également le déclin des Baijis. Pris pour ressource supplétive et de fait désacralisés par la force de circonstances qui favorisèrent le commerce de leur viande, de leur graisse et de leur cuir, les dauphins étaient estimés à un nombre d'environ quatre cents têtes en 1970, disséminées dans le Yangzi et ses canaux latéraux.
Des facteurs multiples allaient s’additionner et provoquer leur raréfaction drastique : la démographie galopante qui contribue à vider le bassin-versant de son poisson et embouteiller le trafic fluvial, la pollution par les chimiques, les eaux usées et les émissions acoustiques (détériorant l’ouïe et l’orientation de l’animal. Sa vue, inutile en eaux troubles, avait régressé au cours des temps au bénéfice du système d’écholocation dont il use pour se déplacer et chasser), l’impact direct de la pêche (pêche électrique, pêche à la dynamite, prise dans les filets, lignes de fond et hameçons), la construction d’écluses et d’immenses barrages fragmentant son milieu de vie. Vingt ans plus tard, on n’en recensait plus que treize, triste décompte qui comme le nom scientifique du dauphin – Lipotes vexillifer : le drapeau « abandonné » (du fait de son habitat retiré) – allait leur porter malheur. Sur les berges du fleuve aujourd'hui vivent un tiers de la population chinoise, soit un dixième des êtres humains sur Terre. Le dauphin de Chine y vivait lui depuis des dizaines de millénaires...
Les registres fossiles indiquent que la Déesse du Yangzi descend d’ancêtres ayant vécu il y a 25 000 ans dans le Pacifique et que ce genre a subsisté et s’est différencié en remontant le fleuve Yangzi voici 20 000 ans. Avec sa disparition, c'est tout un rameau de l'arbre de la vie qui disparaît, celui de la famille des Lipotidés. Les rares dauphins d’eau douce répartis dans le monde ont en effet en commun de faire partie de familles dont ils sont les uniques représentants, bien distincts des vrais dauphins que l’on connaît : des résistants confinés mais pas si « irréductibles », comptant parmi les cétacés les plus menacés de la planète. Il s’agit là de la première extinction de grand mammifère aquatique depuis celle du phoque moine des Caraïbes dans les années 50 et seulement de la troisième famille de mammifères à disparaître depuis Christophe Colomb (avant lui les lémuriens géants malgaches au XVIIe siècle et le tigre de Tasmanie, le seul gros marsupial carnivore, chassé sans relâche par les colons européens).
« Nous devons accepter le fait que le Baiji est effectivement éteint. C’est une tragédie, une perte non seulement pour la Chine, mais pour le monde entier », conclu August Pfluger, un expert reconnu du cétacé.
Après dix années écoulées sans remous depuis l’avis officiel de son extinction, une équipe d’écologistes annonça en octobre 2016 avoir avec certitude observé l'animal nageant et sautant furtivement près de la ville de Wuhu (province d'Anhui), appuyé par le témoignage des pêcheurs locaux. La déesse aurait-elle tiré sa révérence pour mieux vivre cachée ? Même en l’absence de preuve matérielle irréfutable, cette nouvelle portée au public ranime l’espoir de certains scientifiques persuadés de la survivance de rares spécimens de Baiji dans les eaux sombres du Yangzi Jiang. Pour d’aucuns, la quête de la déesse reste cependant peine perdue, les individus éventuellement en vie ne pouvant former de noyau viable à la conservation pérenne de l’espèce.
En Chine, le « Baiji » ou « Peh Ch'i » (le « drapeau blanc », évoquant son aileron clair, bien observable) était connu depuis des millénaires. Etrangement absent des œuvres visuelles, qu'elles soient picturales ou céramiques - hormis de rares illustrations plutôt grossières -, il a surtout été l'objet de la tradition scripturale. On en retrouve mention ancienne dans les poèmes, contes et légendes, tout comme dans certains traités. L’Erya, dictionnaire rédigé autour du début de l'ère chrétienne, le présente en ces termes : « Le Ch'i est une sorte de requin. Son corps est semblable à celui d'un esturgeon. Sa queue est comme celle du poisson doré. Il a un gros ventre. Son museau est menu et pointu. Le nez se tient sur le front. Le Ch'i peut émettre des bruits. Il est vivipare. Il est friand de petits poissons. Il a légèrement plus d'un zhang [2,3 m] de long. Il est commun dans les rivières. »
Le folklore prête à l’existence de ce cétacé une origine surnaturelle, à travers la fable légendaire de la déesse Baiji, jadis princesse au cœur pur poussée à la noyade pour s’être refusée à un mariage de raison, et sa métamorphose « ovidienne » en créature des eaux, fruit du geste salvateur de l'esprit du fleuve Bleu dont s’éprend la jeune femme. Si l’histoire, qui donne raison aux sentiments réciproques, connaît une fin heureuse, il en va autrement du trésor national que ce mythe consacre. La « déesse du Yangzi » comme l’appelle affectueusement les chinois est aujourd’hui portée disparue, et ceux rares qui la cherche encore paraissent mener une chasse aux fantômes. En décembre 2006, après six semaines de recherche et malgré le matériel de pointe embarqué et les 3400 kilomètres passés au crible fin, les scientifiques, bredouilles, conclurent à l'extinction probable du dauphin d’eau douce qui vivait à l’Est de la Chine, dans le fameux « fleuve Bleu » ou Yangzi Jiang, le plus long fleuve d'Asie. Un destin jugé largement prévisible, mais à ce même titre sans doute pas inévitable…
L’écosystème du Yangzi a été la victime collatérale du « Grand bond en avant » promu par Mao Zedong afin d’accélérer l’industrialisation et la production agricole à la fin des années 50. Si l’on sait aujourd’hui qu’il déboucha par ses défaillances majeures sur la grande famine qui sévit alors en Chine et fit 35 millions de morts, on ignore de cet épisode obscur qu’il initia également le déclin des Baijis. Pris pour ressource supplétive et de fait désacralisés par la force de circonstances qui favorisèrent le commerce de leur viande, de leur graisse et de leur cuir, les dauphins étaient estimés à un nombre d'environ quatre cents têtes en 1970, disséminées dans le Yangzi et ses canaux latéraux.
Des facteurs multiples allaient s’additionner et provoquer leur raréfaction drastique : la démographie galopante qui contribue à vider le bassin-versant de son poisson et embouteiller le trafic fluvial, la pollution par les chimiques, les eaux usées et les émissions acoustiques (détériorant l’ouïe et l’orientation de l’animal. Sa vue, inutile en eaux troubles, avait régressé au cours des temps au bénéfice du système d’écholocation dont il use pour se déplacer et chasser), l’impact direct de la pêche (pêche électrique, pêche à la dynamite, prise dans les filets, lignes de fond et hameçons), la construction d’écluses et d’immenses barrages fragmentant son milieu de vie. Vingt ans plus tard, on n’en recensait plus que treize, triste décompte qui comme le nom scientifique du dauphin – Lipotes vexillifer : le drapeau « abandonné » (du fait de son habitat retiré) – allait leur porter malheur. Sur les berges du fleuve aujourd'hui vivent un tiers de la population chinoise, soit un dixième des êtres humains sur Terre. Le dauphin de Chine y vivait lui depuis des dizaines de millénaires...
« Nous devons accepter le fait que le Baiji est effectivement éteint. C’est une tragédie, une perte non seulement pour la Chine, mais pour le monde entier », conclu August Pfluger, un expert reconnu du cétacé.
Après dix années écoulées sans remous depuis l’avis officiel de son extinction, une équipe d’écologistes annonça en octobre 2016 avoir avec certitude observé l'animal nageant et sautant furtivement près de la ville de Wuhu (province d'Anhui), appuyé par le témoignage des pêcheurs locaux. La déesse aurait-elle tiré sa révérence pour mieux vivre cachée ? Même en l’absence de preuve matérielle irréfutable, cette nouvelle portée au public ranime l’espoir de certains scientifiques persuadés de la survivance de rares spécimens de Baiji dans les eaux sombres du Yangzi Jiang. Pour d’aucuns, la quête de la déesse reste cependant peine perdue, les individus éventuellement en vie ne pouvant former de noyau viable à la conservation pérenne de l’espèce.
- Synonymes : Dauphin du Yangzi Jiang, Dauphin fluviatile de Chine, Déesse du Yangzi, Dauphin du Chang Jiang, Baiji Tun [le "porpois drapeau blanc"], Lipotes vexillifer [le "reculé porte-drapeau"].
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